(Ce texte de Mario Falardeau a été originalement publié dans le Bulletin mensuel de l’Amicale généalogique Falardeau, volume 3, numéro 5, novembre 2010.)

Je veux tout d’abord vous dire comment mon intérêt pour la généalogie a commencé. Mon père a conservé contre vents et marées (comprendre « plusieurs déménagements ») des papiers de son père Raoul (fils de Jude) dont ce livre d’Émile Falardeau1 : Un maître de la Peinture, Antoine Sébastien Falardeau.

Dans ce livre il y a une dédicace de la main même d’Émile Falardeau, pour Aimé Falardeau, demi-frère de Raoul : 

« À Aimé Falardeau

Mes hommages

Émile Falardeau SHM 21/10/26 »

Puis, sous le titre cette note de Raoul Falardeau :

« Souvenir de mon frère Aimé. R.F. Ce livre m’a été offert juste au moment ou je reprenais mon beau travail de généalogie sur les descendants d’Emery Bertrand R.F. »

Il n’en fallut pas plus pour éveiller ma curiosité sur mes ancêtres à commencer par grand-papa Raoul, décédé avant ma naissance. Ce n’est que récemment, suite à ma retraite, que j’ai pu commencer sérieusement mes recherches. Voilà pour mon intérêt sur la généalogie.

Il y a quelques ouvrages qui traitent de notre héros canadien, comme Georges Falardeau nous en parlait dans son excellent article paru dans le Bulletin mensuel de l’Amicale généalogique, volume 1, numéro 7, août 2008 (ou voir cette page de notre site), avec Eugène De Rives, contemporain du peintre, qui semble être le nom de plume de l’Abbé Henri Raymond Casgrain, puisque cet ouvrage fut réédité sous son vrai nom en 1912 chez Beauchemin, collection Montcalm2.

Vient ensuite l’Importance de la copie au 19e siècle : le cas Antoine-Sébastien Falardeau (1822-1889) / Raymond Vézina (1940-), professeur d’histoire de l’art, Université Laval, pour n’en nommer que quelques-uns.

Et finalement le livre d’Émile Falardeau duquel je tire cet article : Antoine-Sébastien Falardeau : Un Maître de la Peinture, Montréal, aux Éditions Albert Lévesque, Montréal, 1936, disponible à la Grande Bibliothèque3.

Gravure du Chevalier4.

Dans son livre, Émile Falardeau relate en page 132 que

« (…) M. J-P. Tardivel5 devait être un des derniers Canadiens à voir Falardeau avant sa mort, le 14 juillet 1889… Falardeau habite presque toujours la campagne près de Fiesole, mais il possède à Florence même, un grand palais où il s’est réservé un pied-à-terre. En apprenant que j’étais allé à sa maison de la rue San-Spirito, il s’est empressé de venir me voir à mon hôtel. Nous avons longuement causé du Canada, car notre compatriote, bien qu’il ait quitté Québec, il y a quarante-trois ans, n’en est pas moins resté Canadien-Français de cœur. »

Puis Émile poursuit :

« Cinq mois après, le dimanche quatorze juillet, la mort devait avoir raison de celui qui lui avait échappé si souvent. C’était vers dix heures du matin. Le vieux peintre venait à peine de partir de sa demeure de Fiesole pour se rendre à Florence, dans une voiture tirée par un cheval fringant, quand, près du pont qui traverse la Mugnone, sur la route de l’Abbaye, un coup de sifflet strident d’une locomotive se fit entendre. Le cheval affolé se cabra, se lança à l’épouvante faisant frapper la puis voiture sur le parapet du viaduc. Le contrecoup projeta le conducteur en bas du pont d’une hauteur de près de vingt pieds, sur les pierres du torrent.

Secouru immédiatement par des soldats revenant de leur service à la poudrière, il fut transporté dans une maison voisine. Il avait déjà cessé de vivre. La triste nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, et des membres de la Confrérie de la Miséricorde de Fiesole, (société charitable dont la mission est de recueillir les morts accidentés) se rendirent auprès de sa dépouille pour la conduire sur une civière à la morgue de Fiesole où, après une enquête, les autorités livrèrent le permis de le remettre à la famille ainsi que l’atteste le certificat suivant :

Del Comune di Fiesole

Atto dell’ufficio d’Igiene mortuaria del comune di Fiesole del giorno 17 luglio 1889. Mulla osta al transporto da Fiesole a Firenze ove deve esser turnulato, del cadavere del fu Antonio Falardeau defunto, in Fiesole il 14 Iuglio 1889. Cio si attesta in base al decreto prefettizio del 16 corrente. E in base all’accertamento dell’osservana delle leggi sull ‘ingiene. 

« signé » FIRMATO, Il Sandaco

(Traduction faite par le commandeur Guido Nincheri, artiste) :

Hôtel de Ville de Fiesole

Acte du Bureau de l’Hygiène Mortuaire de l’Hôtel de Ville de Fiesole en date du 17 juillet 1889. Aucune objection au transport de Fiesole à Florence où devra être enseveli le corps de défunt Antoine Falardeau, décédé à Fiesole le 14 Juillet 1889. Ce certificat est donné selon l’autorité du décret du préfet, en date du 16 courant. Certifions aussi que les lois sur l’hygiène ont été observées.

« signé» Firmato Le Maire

La basilique de San Miniato-al-monte, Florence, et son cimetière où Antoine-Sébastien Falardeau est enterré6.
Photo : Gracieuseté de Francesco « Gaspa » Gasparetti.

Les journaux « Il Fieramosca » et « La Nazione » de Florence rapportèrent les détails de ce malheureux accident. Ces détails, ainsi que leur traduction, seront reproduits dans l’appendice du second volume.

Après des funérailles imposantes, sa dépouille mortelle fut inhumée auprès des restes de son fils, dans le cimetière de San-Miniato7, à Florence.

Les deux mausolées de sa tombe immortalisent le nom d’un grand Canadien. En voici exactement le texte :

Ici repose

Améric, Laurent, Jacques-Cartier, Pie Jean,

Thomas, Pierre, Florence, Falardeau,

fils unique du Chevalier Antoine-Sébastien et de

Catherine; née Mannucci-Benincasa8

 né le vingt et un août 1862

enlevé à la joie, à l’affection, au bonheur

et à l’espérance de ses parents

le dix-neuf novembre 1864

Dieu me l’avait donné, Dieu me l’a ôté

que son Saint Nom soit béni.

Ci-git la dépouille mortelle 

du

Chevalier Antoine-Sébastien Falardeau

peintre, né à Québec dans le Canada

le treize août 1823

et mort subitement à Florence

sa seconde patrie

le quatorze août 1889

à la suite d’une chute

près du pont Alla Badia

Catherine Mannucci Benincasa, sa femme

et ses filles Dianorra et Catherine

dédièrent cette épithaphe

pieusement.

Que son âme repose dans la paix

du

Seigneur.

ÉPILOGUE

Toutes les richesses d’art que l’artiste avait amassées et qu’il avait refusé de vendre au prix fabuleux de deux millions de francs (quatre cent mille dollars), furent acquises par la suite, pour des chansons par des acheteurs qui profitèrent de l’ignorance des membres de sa famille, à qui il les avait laissées en héritage. De plus, quatre cents tableaux furent dispersés par toute l’Europe et l’Amérique.

Au cours du mois de mai (1925), M. Émile Vaillancourt, chargé par l’agence de voyage Cook de l’organisation d’un pèlerinage à Rome, à l’occasion de l’année sainte, parvint à localiser, sur nos indications, l’endroit de la sépulture du Chevalier Falardeau. Aussi, dans la première semaine d’octobre, des citoyens canadiens déposèrent-ils des fleurs sur la tombe de l’artiste, premier hommage public d’affection de la part de ses compatriotes.

Le treize août (1933), décédait à Québec M. William-Molson MacPherson, possesseur des collections de tableaux Black et Stuart. Comme il n’avait pas d’enfants, les exécuteurs testamentaires, l’honorable George Farrar Gibsone, juge de la cour Supérieure, MM. George-B. Ramsay et William-H. Dobell décidèrent de donner à la province quinze superbes toiles peintes par Falardeau, qui figurent au Musée des Plaines d’Abraham, à Québec.

Quand au reste de son œuvre, nous espérons d’ici bientôt mener à terme un long travail de recherches qui n’a qu’un but, faire apprécier davantage un maître de la peinture que l’on a ignoré malheureusement trop longtemps. »

Fin

C’est ainsi que se terminent le livre d’Émile Falardeau et le récit de la vie du Chevalier Falardeau qui sort vraiment de l’ordinaire. Qu’un petit gars, fils de soldat-cultivateur de Cap-Santé qui barbouillait sur la grange de son père, ait pu accéder à une si brillante carrière après avoir enduré ces misères relève d’une opiniâtreté hors du commun, trait de caractère de certains Falardeau que j’ai connus. J’ai cherché des traces du Chevalier et de sa famille en Italie sur Internet. À part un registre récent, je n’ai trouvé aucun registre ancien des défunts du cimetière, sauf sur le site Wikipedia qui mentionne les célébrités enterrées dans le cimetière de San Miniato9 dont l’auteur de Pinocchio, mais nulle mention de notre héros. Quelqu’un abonné à Wikipedia pourrait-il remédier à cet oubli? 

J’ai bon espoir qu’un jour quelqu’un, peut-être une personne de l’Amicale, pourra retracer sa tombe et la photographier pour le bénéfice des amants de l’Art, de l’Histoire et de la généalogie.

Notes :

1. Deuxième président de la Société généalogique canadienne-française.

2. L’édition 1862 de cet ouvrage peut être lue en ligne sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

3. Le livre est disponible à la Grande Bibliothèque.

4. Voir l’étude de Marie-Claude Gamache dans Gravures dans l’histoire des Canadiens-Français, étudiante, baccalauréat en histoire de l’art, Université du Québec à Montréal, décembre 2001.

5. Extrait des Mémoires de J.P. Tardivel.

6. Lien vers le diaporama. (Le lien n’existe plus)

7. Cimetière de San-Miniato.

8. Mes recherches sur le web m’ont fait découvrir une maison appartenant à un monsieur Frederigo Mannucci Benincasa. Probablement un descendant de la même famille.

9. Basilique San Miniato al Monte