(Ce texte de Georges Falardeau a été originalement publié dans le Bulletin mensuel de l’Amicale généalogique Falardeau, volume 1, numéro 7, août 2008.)

Ce bref résumé de la biographie du chevalier Antoine Sébastien Falardeau a été préparé par Georges Falardeau. Sauf le dernier paragraphe parlant de sa mort, qui provient de Raymond Vézina, il est tiré du livre d’Eugène de Rives Le chevalier Falardeau, Québec, Léger Brousseau, éditeur, 1862. Plusieurs phrases sont tirées telles quelles du volume, écrit il y a près de 150 ans, ce qui explique certaines tournures assez particulières.

Antoine Sébastien Falardeau.

En 1812, Joseph Falardeau, le père d’Antoine Sébastien, combattait dans les rangs des voltigeurs du colonel Salaberry, avec lequel il participa à la bataille de Châteauguay. Par la suite il abandonna sa carrière des armes pour se fixer dans la paroisse Saint-Ambroise-de-la-Jeune-Lorette, à Loretteville, près de Québec.

C’est à la suite de son mariage avec Isabelle Savard, le 24 juillet 1820, qu’il quitta Loretteville pour s’établir à Cap-Santé, situé à 48 kilomètres au sud-ouest de Québec. C’est là que naquit Antoine Sébastien, le 13 août 1822. Il était le second fils de Joseph, cultivateur. La famille était composée de trois autres frères et de deux sœurs.

L’enfance d’Antoine Sébastien

Antoine Sébastien manifesta, dès sa plus tendre enfance, une singulière vivacité d’intelligence et une très grande impressionnabilité. A huit ans, on l’envoya à l’école où il fit toujours le désespoir de ses maîtres à cause de son humeur railleuse et de son habitude de toujours crayonner et barbouiller. Il réussissait fort bien à l’école, mais encore mieux à enjoliver ses cahiers d’une multitude de dessins et de figurines fantastiques merveilleusement tracées, et qu’il coloriait ensuite avec du fiel et du jus de betterave.

À 12 ans, son père le retira de l’école afin de l’employer à la culture de la terre. Comme il n’avait pas beaucoup d’attrait pour la terre mais était plutôt obsédé par l’idée de dessiner tout ce qui lui passait sous les yeux, hommes, bêtes, troupeaux, maisons qu’il encadrait d’arbres, il eut à subir les foudres de son père à maintes reprises, ce qui lui valut des punitions corporelles.

Jetant de côté la pioche et la charrue, il se résolut à rien de moins qu’à s’évader de la maison paternelle. C’était un dimanche, ses parents venaient de partir pour la messe, c’est alors qu’il déclara son projet à sa sœur qui essaya de le dissuader. Il prit un morceau de pain et partit. Après avoir marché plus de dix lieues, il arriva, le soir tard, chez un oncle maternel qui demeurait dans une concession de Saint-Ambroise-de-la-Jeune-Lorette. Il fut deux jours malade de cet esclandre.

Lorsque son père eut appris quelle direction il avait prise, il dit à sa femme : « Quand il aura mangé assez de vache enragée (expression pour dire de la misère), il reviendra bien. » Mais son fils ne revint pas.

Son passage à Québec

Il se rendit par la suite à Québec, où il fut obligé de se mettre au service de plusieurs personnes pour pouvoir subsister. Toutes remarquèrent en lui beaucoup d’intelligence et d’ardeur au travail.

Il apprit l’anglais chez un de ses employeurs. Pendant ses heures de loisirs, il continuait toujours à dessiner et à peindre. Il fréquenta les écoles du soir avec une ardeur incroyable. L’excellent artiste Théophile Hamel, qui avait remarqué ses croquis, l’encourageait alors de ses conseils. Les deux années suivantes, un peintre d’enseigne l’initia aux secrets de son art, et bientôt il dépassa le maître lui-même. Pendant l’hiver de 1845, il reçut des leçons d’un excellent peintre de portraits en miniature.

Quand Théophile Hamel revint d’un séjour en Europe, et à la suite du récit qu’il lui fit des merveilles qu’il avait vues, des beautés artistiques, des chefs-d’œuvre des grands maîtres qu’il avait admirés, germa en lui l’idée de tout laisser et de partir.

Le départ pour l’Europe

Pendant l’été de 1846, muni d’une lettre de recommandation, il partit pour l’Europe. Premier contretemps, il fut obligé d’attendre à New York, trois longues semaines, un vaisseau à destination de Marseille. À la hauteur des Îles Açores, une tempête horrible, qui dura trois semaines, assaillit le vaisseau. Il fallut jeter une partie de la cargaison à la mer. Pendant trois jours, le navire demeura sur le coté sans pouvoir se relever.

Antoine Sébastien avait tellement souffert de la disette et du mal de mer, qu’il fut deux jours à Marseille sans pouvoir marcher autrement qu’appuyé sur le bras d’un marin de vaisseau. Enfin arrivé à Florence, muni de la lettre de référence de monsieur Hamel pour un de ses amis de Florence, il alla frapper à sa porte pour se faire dire qu’il était mort depuis deux mois.

Après bien des démarches, il obtint d’entrer à l’Académie des Beaux-Arts. Il eut pour premier maître de dessin le professeur Calenddi, dont il put bientôt gagner l’estime et l’affection. Il trouva aussi un bon père dans la personne du professeur Gazzarini qui, aux premières vacances d’été, lui donna un certificat d’habilité, et lui ouvrit les portes de la Galerie des Offices.

La vie n’était pas facile pour Antoine Sébastien : il vivait au pain et au lait. Pendant plus d’une année et demie, il ne goûta presque jamais de viande. À de rares occasions, il pouvait se payer un saucisson. Comme il était encore un parfait inconnu, les commandes de tableaux se faisaient rares. Reconnaissant son talent, ses deux professeurs lui donnèrent des leçons gratuites. Pendant plusieurs années, notre pauvre exilé ne vécut que de privations. Le beau ciel d’Italie avait peu de sourires pour lui. C’était la terre étrangère.

La fortune se faisait tirer l’oreille avant de se montrer. À Livourne, il vide sa bourse pour louer une chambre et exposer ses tableaux. Une matinée, comme les commandes ne l’accablaient pas, il lui prit fantaisie d’aller prendre des bains de mer. Il faillit se noyer ; il était sans connaissance quand il fut rescapé par un batelier. Quelques minutes de plus, et le chevalier Falardeau n’aurait jamais copié le Saint-Jérôme, ni accroché à sa boutonnière la croix de Saint-Louis de Parme.

Le début des jours meilleurs

Après sept mois de séjour à Livourne, Il retourna à Florence. Sa réputation d’artiste se répandait chaque jour et les admirateurs se groupaient autour de son chevalet, et un bon nombre de personnes lui commandèrent des portraits et des tableaux. Ce fut alors qu’il fit son tour d’Italie.

Il parcourut toute la Lombardie, visita tour à tour Milan, Bologne, Parme, Venise, Rome, Naples, séjournant plusieurs mois dans chaque ville, admirant, étudiant, copiant les chefs-d’œuvre de chaque école, habituant son pinceau à cette variété de styles, enrichissant sa palette de ces teintes idéales qui sont le secret des grands maîtres. De hautes protections commençaient aussi à lui venir.

Saint-Jérôme du Corrège.

C’est ici que se place l’épisode du concours pour la copie du Saint-Jérôme du Corrège, pendant son séjour à Parme, et qui va rendre célèbre Antoine Sébastien. Nous sommes en décembre 1851. L’original de cette toile, qui fut peinte en 1524, représente la Madone avec l’Enfant Jésus, sainte Madeleine et saint Jérôme. Les mains de l’Enfant Jésus, jouant avec la chevelure d’or de Marie, sont quelque chose de divin ; lorsque l’on contemple cette toile, on est transporté par la beauté des formes, la grâce, l’élégance, qui égalent la grandeur de la conception et la magie du coloris. Voilà le chef-d’œuvre que Falardeau avait la témérité de vouloir reproduire. Plusieurs autres artistes éminents tenaient aussi le pinceau devant la célèbre toile.

Les curieux et les amateurs suivaient avec intérêt cette joute du talent. Bientôt, les têtes se pressèrent derrière l’épaule de l’Americano, comme disent les Italiens. À mesure que l’œuvre sortait de la toile, l’admiration croissait et attroupait la foule. Ce fut à la fin une véritable procession.

Avant même la fin du concours et la décision du jury, qui allait bientôt lui décerner le premier prix, l’Académie des Beaux-Arts l’admit, à l’unanimité, au nombre de ses membres honoraires. De ce jour commença une ère nouvelle pour notre héros.

Chevalier de l’Ordre de Saint-Louis

Le duc de Parme, Charles III de Bourbon, voulut voir cette peinture dont on faisait tant de bruit. Il fut charmé à la vue de cette toile et voulut en faire l’acquisition. Après avoir refusé de la vendre, et avoir fait part de sa décision au directeur de l’Académie, celui-ci réfléchit et lui donna un conseil qui lui porta bonheur.

Le lendemain le duc, s’étant arrêté de nouveau devant le Saint-Jérôme, proposa une seconde fois de le lui acheter. L’artiste lui fit la même réponse que la veille. « Cependant, ajouta-t-il, votre Altesse semble si désireuse de posséder mon œuvre, j’ose la prier de vouloir bien me permettre de lui en faire cadeau. »

Quelques heures après, le peintre était assis à la table du duc. Après le repas, le prince, détachant de son cou une magnifique épingle en brillant, lui dit en la lui présentant : « Chevalier, voilà pour votre cadeau. » Puis il ajouta : « Veuillez, je vous prie, passer chez mon chancelier. » Aussi se hâta-t-il de passer chez le chancelier, qui lui remit des lettres patentes en vertu desquelles monsieur Antoine Sébastien Falardeau était créé Chevalier de l’ordre de Saint-Louis.

La gloire, la fortune, le malheur

Au Canada, tout le monde se réjouit des succès du chevalier. Ceux qui l’avaient connu tout enfant, et dans la position si précaire où il s’était trouvé à son arrivée à Québec, avaient peine à croire les récits qui leur arrivaient d’outre-mer.

La fortune arriva bientôt sur les pas de la gloire. À son retour de Florence, il reçut d’une personne pour l’équivalent de 800 dollars de commande, une fortune à l’époque. La grande-duchesse de Mecklembourg-Schwerin, et l’impératrice douairière de toutes les Russies lui commandèrent aussi plusieurs tableaux. Il allait donc enfin sortir de la gêne où il avait vécu jusqu’alors. Après tant de travail, de peines, de difficultés, de privations, il commençait à respirer un peu, et à jouir de la vie.

Voilà que la maladie frappe Antoine Sébastien. Pendant plusieurs jours, il fut entre la vie et la mort. La fièvre au teint jaune était compliquée d’une fièvre rhumatismale et d’une pleurésie. Le trente-deuxième jour, les médecins déclarèrent sa maladie sans remède. C’est son fidèle domestique qui, jour et nuit auprès de son lit, est parvenu à force de dévouement à l’arracher des bras de la mort. La convalescence fut très longue.

Après un voyage de santé à l’Île d’Elbe, Antoine Sébastien entrait à nouveau chez lui en 1853, près d’une année après les événements. En voulant prendre son chat, celui-ci le mordit et comme il avait la rage, il tomba dangereusement malade à nouveau. Ce ne fut que durant le cours de l’année 1855 que sa guérison devint complète.

Le mariage

Le 17 septembre 1861, il laisse un moment sa palette et ses pinceaux pour offrir sa main à une noble fille de Florence, demoiselle Catherina Manucci-Benincasa Capponi, fille du marquis Francesco Manucci-Benincasa Capponi. Ayant perdu son père et sa mère très jeune, elle fut confiée à la tutelle d’un oncle, jusqu’au jour où elle est entrée sous le toit de notre heureux compatriote. Au moins trois enfants naîtront de cette union.

Antoine Sébastien Falardeau, le retour au Canada

Il ne manquait plus pour compléter le bonheur du Chevalier Falardeau, que de revoir sa patrie, et de venir embrasser sa famille et ses amis. Il a quitté Florence pour le Canada le 23 avril 1862, et par une heureuse coïncidence, c’est le matin même de notre fête nationale qu’il mettait pied à terre à Québec. Il reçut un accueil des plus chaleureux. Le poète Louis Fréchette lui adressa une charmante prière de vers. Il reçut beaucoup d’autres hommages.

Avant de quitter, il rendit l’hommage suivant : « Parmi toutes les choses que je vais emporter de mon voyage au Canada, le souvenir de tant de bontés dont j’ai été l’objet à Québec, sera une des choses qui me feront le plus vivement regretter la Patrie. J’ai l’honneur d’être votre très humble Serviteur. Signé, Antoine S. Falardeau, Québec 10 juillet 1862 ».

Carte de remerciements
d’Antoine Sébastien Falardeau.

Le retour et la fin

De retour à Florence, il continua de peindre encore plusieurs années, jusqu’au jour où lors d’une promenade à cheval, celui-ci s’emballa et le précipita dans le fleuve. Il mourut noyé le 14 juillet 1889.

Informations complémentaires

La Maison Saint-Gabriel

Une de ses œuvres (Maria Madalena) est exposée à cet endroit.

Maria Madalena.

Ancêtres d’Antoine Sébastien : Guillaume (premier ancêtre émigré au Québec), Guillaume (2), Jean-François (3), François Guillaume (4), Joseph (5), Antoine Sébastien (6).

Ci-dessous, un timbre de Noël émis en 2006. Il met à l’honneur le talent d’Antoine Sébastien, « l’un des copistes les plus célèbres de l’histoire », d’après la Société canadienne des Postes. Il reproduit l’œuvre Vierge à l’enfant, œuvre originale d’Antoine Sébastien produite « en imitant le style de l’artiste baroque italien Carlo Dolci (1616-1687) ».

Timbre-souvenir à la mémoire
d’Antoine Sébastien Falardeau.

Enfin, mentionnons que le nom du village de Saint-David-de-Falardeau, dans la région SaguenayLac-Saint-Jean, rend hommage au peintre Antoine Sébastien Falardeau.