(Ce texte de François Falardeau a été originalement publié dans le Bulletin de l’Amicale généalogique Falardeau, volume 1, numéro 3, 11 mai 2008.)
Dans cet article, je reprendrai les éléments essentiels de ce que j’ai déjà écrit dans le numéro hiver 2007 de la revue Mémoires de la Société généalogique canadienne-française (SGCF). Je les enrichirai des nouvelles hypothèses présentées, en réaction à mon article, par monsieur Roland Jacob dans le numéro du printemps 2008 de la même revue. Je terminerai par d’autres pistes que j’aimerais explorer. Je ne donne pas de références détaillées, mais je serai heureux de les fournir sur demande.
D’où vient le nom Follardeau ?
J’ai longtemps cru, avant de m’intéresser plus intensivement à la généalogie, que mes ancêtres étaient d’origine espagnole. C’est ce qui circulait dans ma famille; c’est aussi, sauf erreur, ce qui se serait dit à la radio de Radio-Canada il y a quelques années (je ne puis cependant être plus précis; mon frère Pierre, qui m’en a parlé, est décédé en novembre dernier). Toutefois, aucune des pistes suivies par la suite ne conduisait en Espagne. J’y reviendrai toutefois à la fin.
Narcisse-Eutrope Dionne
Parlant du nom Falardeau, Robert Prévost écrit : « Le professeur N.-E. Dionne, dans un ouvrage publié en 1914 sur les origines de nos familles, suggère l’idée que le patronyme découle de l’appellation de la commune de Feuillardais, située dans l’actuel département de Loire-Atlantique; il ajoute, sans plus, qu’un filardeau est un jeune brochet. » Le professeur en question est Narcisse-Eutrope Dionne (1848-1917), qui a publié plusieurs volumes sur l’histoire du Québec.
Émile Falardeau
Le généalogiste Émile Falardeau, deuxième président de la SGCF, affirmait en 1944 que le nom Falardeau, déformé de Folardeau, est d’origine française et cela sans aucune erreur, qu’il l’a toujours été, est très ancien dans cette partie de la France, la Saintonge, maintenant le département de Charente-Maritime, dans la région Poitou-Charentes. Il disait tenir cette assurance, ainsi que l’explication qui suit, « du comte de Belloy et d’autres personnages distingués du pays des ancêtres ».
Pour lui, ce nom est un composé et tire sa souche d’un mot celtique et d’un autre de langue latine : fol signifie « feu » en langue gauloise et ardeo signifie « ardent » en langue latine. Il rappelle qu’en ancien français le o a la même valeur que le a (indifféremment anglois pour anglais). La langue parlée dans cette partie de la France, disait-il, est un dérivé de la langue d’oïl. Elle offre un mélange d’expressions celtiques, anglaises et latines. Il affirmait que la Saintonge était le pays des Santons, conquis par Jules César. Les Santons auraient voué un culte particulier au feu, les santons étant les personnes chargées de l’entretenir.
L’explication d’Émile Falardeau m’a longtemps laissé perplexe, surtout à cause du croisement d’un mot latin avec un mot celtique. D’autant plus que je n’ai trouvé dans le fonds Émile Falardeau, à la Société historique de Longueuil, aucune lettre du compte de Belloy ou d’autre « personnage distingué ». Il faut dire que le fonds ne contient pas l’ensemble des archives de cet éminent généalogiste. Cette idée d’utilisation de deux langues dans un même mot m’apparaît cependant plus intéressante à la suite de certaines recherches.
En effet, le maire de Bignay, monsieur Joël Touzet, ne nous a-t-il pas dit que le nom de la commune de Bignay vient à la fois du latin et du celtique? De plus, on peut lire dans une Géographie du département de Charente-Inférieure de 1877 : « Les habitants des arrondissements de Saint-Jean d’Angély, Saintes et Jonzac se servent d’un patois dérivé de la langue d’oïl et offrant un mélange d’expressions celtiques, anglaises et latines. » Précisons que Bignay fait partie de l’arrondissement de Saint-Jean d’Angély.
Dans le même volume, on parle des Santones ou Santons :
« Au temps des Gaulois, c’était le pays des Santones, dont le nom s’est perpétué dans celui de la province de Saintonge. […] César, dans ses Commentaires, parle souvent des Santones comme d’un des peuples les plus puissants de la Gaule, mais on ne sait où placer la ville qu’il désigne sous le nom de Portus Santonum. Ce peuple envoya 12 000 hommes à l’armée qui tenta de délivrer Vercingétorix bloqué dans Alise. »
Je n’ai rien trouvé sur les Santons et le culte du feu, mais l’idée du « feu ardent » peut avoir bien des significations, surtout chez les descendants de ceux qui ont défendu Vercingétorix, donc des cousins d’Astérix et de ses amis!
Roland Jacob
Dans Votre nom et son histoire – Les noms de famille au Québec, Roland Jacob suggère une origine germanique du nom Falardeau. Germanique signifie en fait que ce nom viendrait des Francs, qui sont, je l’ignorais, un peuple d’origine germanique. Les Follardeau auraient donc emprunté leur nom aux Francs. Après avoir lu mon article, monsieur Jacob a partiellement modifié et surtout précisé sa pensée. Rejetant les hypothèses de monsieur Dionne et ne retenant que certains éléments de celle de monsieur Falardeau, il présente trois hypothèses que je tenterai de résumer.
D’abord, quelle que soit l’hypothèse, pour lui la terminaison –eau est un diminutif qui peut avoir une valeur affective ou marquer la filiation. Quant aux deux autres parties du mot décomposé, fol et ard, elles peuvent soit :
- Provenir de deux langues, formant un nom d’origine hybride comme le proposait monsieur Falardeau. Fol pourrait signifier « feu », mais ard viendrait du germanique et signifierait « dur, fort ». Comme explication de fol dans cette première hypothèse, monsieur Jacob retient davantage qu’il serait issu du latin follis, « soufflet », « qui désigne l’outil du forgeron pour alimenter le feu, avant de désigner par métaphore la personne idiote »;
- Être un sobriquet : fol, comme son dérivé fou, peut signifier « qui a perdu la raison », mais plus probablement « qui se conduit follement », équivalant à folichon. Ard aurait dans cette hypothèse une valeur augmentative et par conséquent péjorative, attirant « donc l’attention sur le caractère excessif de la légèreté du porteur du sobriquet ».
- Être un lieu-dit, comme bon nombre de noms de famille. Fol est en effet une variante régionale du mot hêtre, issu du latin fagum. La partie ard ajouterait au caractère majestueux de l’arbre, comme par exemple dans le nom Chénard, provenant du chêne et qui, comme lieu-dit, identifie « un lieu où on retrouve un chêne gigantesque ». Fayard ou Follard signifieraient ainsi un lieu caractérisé par un hêtre imposant. Il peut ensuite devenir le nom de celui qui y habite et devenir finalement un nom de famille.
Quant au passage de Follardeau en France à Falardeau au Québec, il vient de la façon dont curés et notaires ont transcrit la prononciation de personnes qui généralement ne savaient ni lire ni écrire.
Intéressant tout cela. J’aime bien la dernière hypothèse et j’ai vérifié s’il n’y avait pas un lieu-dit nommé Follard à Bignay. Cette commune, qui compte aujourd’hui près de 400 habitants, est formée d’au moins une vingtaine de hameaux, qu’on pourrait sans doute appeler des lieux-dits avec des noms comme Le Grand Moulin, Chez Gautret, Le Buisson, et évidemment La Contrie dont j’ai parlé dans le premier bulletin. Mais dans la liste, rien qui ressemble à Fayard ou Follard.
Mais avant de choisir, je compte explorer d’autres pistes :
- D’abord, pour la première partie du mot, fol. Se pourrait-il que les ancêtres des Follardeau aient été des Collardeau ? En effet, dans la page du fichier Origine qui retrace l’origine de nos ancêtres, on trouve une note disant « Le patronyme Gollardeau existe également à Bignay ». Vérification faite, il s’agit d’une coquille corrigée dans le dossier conservé à la SGCF, mais pas encore sur le site Internet : l’auteur a plutôt parlé de Collardeau. Pourquoi at-il ajouté cette note ? Probablement parce qu’il a constaté qu’il y a eu et y a encore plus de Collardeau que de Follardeau en Charente- Maritime et qu’il émettait tacitement l’hypothèse d’un lien entre les deux noms. Y a-t-il là une piste à explorer ? J’invite simplement ceux qui ne voient aucun lien ni aucune ressemblance, phonétique ou autre, entre les deux noms, à lire mon prochain article sur Guillaume Follardeau et son frère Jean. À suivre.
- Enfin, j’ai de la difficulté à rejeter totalement l’origine espagnole. Le nom Follardo est très courant dans les pays d’origine espagnole. Est-il possible qu’un Follardo (dont le nom pourrait peut-être avoir la même origine étymologique que celle émise par monsieur Jacob pour Follardeau) ait émigré d’Espagne à la faveur des nombreux échanges commerciaux entre l’Espagne et la Flandre (qui a longtemps été rattachée à l’Espagne), et avec l’Angleterre? Les marchandises transitaient souvent par le port de La Rochelle , qui n’est qu’à 70 kilomètres de Bignay.
Monsieur Jacob, à qui j’ai envoyé le présent texte pour m’assurer que le résumé que je faisais de sa pensée était conforme, me précise que « le fait de porter un nom d’origine germanique ne fait pas du porteur un descendant des Francs. C’est simplement que son ancêtre gaulois a emprunté ce nom aux Francs ».
Il ajoute, laissant entrouverte la piste espagnole, que « les emprunts nombreux de noms germaniques ne sont pas propres au français. Ainsi, le nom Baldwin, en anglais, équivaut au français Baudoin et à l’italien Baldoni. Il est donc possible que Follardo soit la forme espagnole du nom germanique. »
Quelle que soit l’hypothèse correspondant à la réalité, je crois que le nom est assez récent. Compte tenu du peu de Follardeau trouvés en France, et de leur concentration au 17e siècle autour de Bignay et de la Charente-Maritime, je ne serais pas surpris d’apprendre que c’est au 16e siècle que le premier Follardeau a pris ce nom. J’y reviendrai en parlant des Follardeau de France.