Par France Michel
L’une s’appelait Blanche, l’autre se prénommait Rachel. On disait de la dernière qu’elle était modiste de chapeaux. Les deux sœurs vécurent longtemps ensemble. De 1888 à 1978, sur presque 100 ans, les sœurs Falardeau ont ajouté leur touche à l’histoire des Falardeau du Québec. Maintenant endormies pour toujours, elles reposent au cimetière de Cap-Santé, là où l’air est si bon qu’il donna supposément le nom au petit village qui les a vues naître.
Un peu d’histoire familiale
Cap-Santé s’étend sur les bords du Saint-Laurent, niché entre Donnacona et Portneuf, tout près de Québec. C’est là que Joseph Falardeau se maria le 22 mai 1882 avec Marie Virginie Germain.
Après leur mariage à Cap-Santé, Joseph et Virginie durent s’établir quelques années à Loretteville, car leurs six premiers enfants naquirent à cet endroit. Les parents de Joseph habitaient à Loretteville et le fils a dû travailler la terre avec son père. Joseph Falardeau semble avoir été cultivateur toute sa vie. Cette mention est toujours citée dans les registres.
De leur union naquirent dix enfants. Les parents en perdirent cinq en bas âge. Le premier enfant à naître à Cap-Santé fut une fille qui, malheureusement, décéda la journée de sa naissance. Blanche et Rachel eurent malgré tout de nombreux frères et sœurs :
- Régina Marcélès (aussi Mercédès), née le 28 février 1883 et baptisée le 1er mars 1883, à Loretteville. Décédée le 17 avril 1956, à Québec, et enterrée le 20 avril 1956, à Cap-Santé;

Photo : Journal L’Action catholique, 19 avril 1956, p. 25. (BANQ)
- Marie Anne Athala (mais baptisée Atala), née le 13 juin 1884 et baptisée le même jour, à Loretteville. Décédée le 7 novembre 1955, à Montréal, et enterrée le 10 novembre 1955, à Cap-Santé;

Photo : Journal L’Action catholique, 9 novembre 1955, p. 21. (BANQ)
- Joseph Émile, né le 26 septembre 1885 et baptisé le 27 septembre 1885, à Loretteville. Décédé le 26 juillet 1886 et enterré le 28 juillet 1886, à Loretteville;
- Joseph Patrice Alexandre (aussi Frédéric), né le 8 novembre 1886 et baptisé le même jour, à Loretteville. Décédé le 25 octobre 1890 et enterré le 26 octobre 1890, à Loretteville;
- Marie Jeanne Blanche, née le 21 octobre 1888 et baptisée le même jour à Loretteville. Décédée le 12 octobre 1962, à Loretteville, et enterrée le 16 octobre 1962, à Cap-Santé;

Photo : Acte tiré des registres de la paroisse Saint-Ambroise-de-la-Jeune-Lorette (BANQ).
- Marie Yvonne, née le 22 juin 1890 et baptisée le même jour, à Loretteville. Décédée le 21 mars 1892, à Cap-Santé, et enterrée le 22 mars 1892, à Cap-Santé;
- Anonyme, fille née, ondoyée et décédée le 12 novembre, et enterrée le 13 novembre 1891, à Cap-Santé;
- Joseph Albert Maximilien, né le 12 août 1893 et baptisé le 13 août 1893, à Cap-Santé. Décédé le 14 décembre 1894, à Cap-Santé, et enterré le 15 décembre 1894, à Cap-Santé;
- Marie Jeanne (aussi Georgette à son mariage), née le 24 octobre 1895, à Cap- Santé, baptisée le même jour. Décédée et enterrée le 26 décembre 1980, à Saint-Ubalde;
- Marie Rachel Juliette, née le 16 septembre 1897 et baptisée à Cap-Santé (erreur pour le nom de la mère, Garneau) le 17 septembre 1897. Décédée le 20 mars 1978, à Donnacona, et enterrée le 22 mars 1978, à Cap-Santé.

Acte tiré des registres de la paroisse
Sainte-Famille-du-Cap-Santé (BANQ).

Photo : Journal Le Soleil, mars 1978 (BANQ).
Le mystère des prénoms des enfants et du nom de la mère
Tout d’abord, au sujet de la mère de Blanche et de Rachel. Sur tous les registres de baptêmes, de mariage et de décès consultés, la mère s’appelle bien Virginie Germain. Sur tous? Non… Sur l’acte de baptême de Rachel, la petite dernière, la mère s’appelle Virginie Garneau. On comprend bien qu’il s’agit d’une erreur du prêtre, puisque le nom du mari est correct et que les autres Falardeau mentionnés à l’acte correspondent bien à la bonne famille.
Quant aux prénoms des enfants, on constate les faits suivants :
- Baptisée Régina Marcélès, cette dernière emploiera aussi le prénom Mercédès.
- Atala a bien été baptisée ainsi, mais elle modifiera son prénom en Athala. Bien que son acte de mariage en 1905 porte la mention officielle Attala (cette fois avec deux t), sa signature au registre est Athala. Il en est de même sur l’acte de baptême de Rachel en 1897, où elle figure comme marraine.
- Joseph Patrice Alexandre est bien baptisé ainsi. Mais on le retrouve plus tard appelé également Frédéric. Pourtant, son parrain ne porte pas ce prénom… Alors, pourquoi??
- Marie Jeanne surprend. Elle avait déjà une sœur plus vieille qui portait ce prénom. Voilà qu’on la retrouve plus tard, s’appelant Georgette à son mariage. Est-ce encore une erreur du prêtre lors du baptême?
- Quant à Rachel, son prénom variera dans la vie avec cette graphie : Rachèle.
Une vieille maison Falardeau

Photo : Archives personnelles de Gilles Ricard.
Le journal Portneuf-Presse du 24 juin 1965 a consacré cet article à la Maison Falardeau de Cap-Santé :
C’est dans cette vieille maison que Blanche et Rachel vivront longtemps (les deux sœurs ont vécu ensemble 65 ans). C’est aussi là que Rachel installa son commerce de chapeaux. En effet, Rachel était ce qu’on appelait alors une modiste de chapeaux, c’est-à-dire qu’elle créait et confectionnait des chapeaux qu’elle vendait ensuite à la clientèle du coin.
Petite anecdote, Rachel a été la porteuse de Gilles Ricard (personne-ressource de cet article) à son baptême.

Photo : Archives personnelles de Gilles Ricard.
Une modiste de chapeaux bien de son temps
Jusque vers les années 1730, la fabrication des chapeaux, surtout celle du fameux chapeau de castor, a connu un véritable essor en Nouvelle-France. On en exporte jusqu’en France. En effet, les chapeaux de feutre sont très populaires à ce moment en Europe et le feutre principalement utilisé pour fabriquer les chapeaux pour hommes provient majoritairement du castor, car il est de qualité supérieure. C’est l’une des raisons qui expliquent pourquoi la traite des fourrures était si importante ici. Elle fournissait aux chapeliers de France une matière première très convoitée. Mais en 1736, le roi Louis XV interdit dorénavant toute fabrication de chapeaux au Canada. Ce qui met fin à cette industrie au Canada. On a dit que la France ne voulait pas de compétition entre la mère-patrie et ses colonies. On a aussi avancé que la contrebande du castor prenait de l’ampleur.
Avec le Traité de Paris de 1763, le Canada devient une colonie britannique. Les chapeliers britanniques ont accès plus facilement à la fourrure de castor et les marchands québécois recommencent à vendre des chapeaux anglais. Peu à peu, plusieurs chapelleries ouvrent. Certaines assemblent des parties de chapeaux envoyées de l’Angleterre, lesquels sont ensuite vendus dans les magasins des ateliers. La chapellerie devient rapidement un travail respectable et rentable pour les jeunes femmes.
C’est au début du vingtième siècle que le tout prend une réelle ampleur. Le terme chapelier auparavant réservé aux hommes se voit mis en compétition avec chapelière, qui désigne le plus souvent les marchandes de chapeaux. C’est alors qu’apparaît l’appellation modiste pour parler des femmes qui travaillent dans les ateliers des grands magasins ou à la maison pour confectionner et créer des chapeaux.
L’importance des chapeaux, à ce moment, est réelle. On peut même déterminer le rang ou la classe sociale à laquelle appartient une personne par l’apparence de son chapeau. Par exemple, on commande un chapeau comme celui de la femme du docteur du village. Les journaux ont une chronique mondaine où sont décrits les vêtements portés par des personnes connues ou lors d’occasions spéciales.

Photo : Journal L’Action catholique, 13 mai 1957, p. 6 (BANQ).
La modiste agrémentera ses chapeaux selon les saisons, utilisant la paille, les plumes ou les rubans selon son inspiration du moment. Et alors que presque tous les chapeaux masculins sont manufacturés en Angleterre, les chapeaux féminins se démarquent par ce sens artistique que déploient leurs créatrices. Quand, vers les années soixante-dix, l’Église abolit l’obligation de porter un chapeau à la messe, le chapeau perd sa splendeur et sa vente chute brutalement.
Notre Rachel était connue pour être modiste (de chapeaux) à Cap-Santé. Au recensement de 1957, elle est d’ailleurs mentionnée avec ce titre. On voit qu’elle habite avec sa sœur Blanche (appelée Mme Napoléon Fiset, juste au-dessus du nom de Rachel. Napoléon est alors décédé.).

Photo : Ancestry.
Un repos bien mérité

Photo : Archives personnelles de Gilles Ricard.
Blanche décède en 1962. Elle va rejoindre en terre son mari Napoléon, mais seule une toute petite plaque au nom de Napoléon Fiset (sans autre renseignement) cache leur secret au cimetière de Cap-Santé. Rachel poursuit sa vie, seule, sans cette sœur qui l’a longtemps accompagnée. Après le décès de Blanche, Rachel va habiter quelque temps en haut de chez les parents de Gilles Ricard (Jean Ricard et Yvette Delisle), au 7, Vieux-Chemin, à Cap-Santé. On voit qu’elle habite le 41, Vieux-Chemin à Cap-Santé, au recensement de 1972.

Photo : Ancestry.
Rachel finit ses jours à Donnacona. Elle meurt là-bas, mais fidèle à ses racines, elle sera enterrée auprès de sa sœur Blanche, toujours dans l’anonymat, puisque son nom ne figure pas non plus sur la pierre tombale.
Les circonstances de la vie
En août 2018, lors d’une promenade au cimetière de Cap-Santé, je suis à la recherche de monuments funéraires portant l’inscription de Falardeau. Je rencontre alors, par hasard, Mme Lyse Naud, présidente du Conseil du patrimoine culturel de Cap-Santé, et son conjoint, M. Denis Papillon. Ce sont eux qui me parlent de la Maison Falardeau, qui existait avant. M. Papillon promet qu’il m’enverra plus de détails à ce sujet. C’est lui qui me transmet les coordonnées d’un certain Gilles Ricard. M. Papillon me parle aussi un peu de Rachel Falardeau, qui était modiste de chapeaux à Cap-Santé, mais il n’en sait pas plus.
M. Ricard, très gentil, répond à mon courriel et m’envoie alors deux photos de la Maison Falardeau. Il m’explique qu’il ne connaît que cinq filles Falardeau : Régina, Athala, Blanche, Georgette et Rachel. Et, surprise, M. Ricard est le petit-fils de Georgette et le petit-neveu de Blanche et Rachel. Son père était le fils de Georgette, mariée à Johnny Ricard. Il sait qu’il y a d’autres frères et sœurs, qui venaient de Loretteville, mais il ne peut m’en dire plus. Quand je lui explique que j’ai bien trouvé les pierres tombales de Régina et Athala, mais pas celles de Blanche ou de Rachel, il m’explique ce qui suit.
Conserver le souvenir des personnes décédées
Juste en face du terrain où repose Athala, se trouve un lot, le lot A-47. Ce lot a été cédé à M. Gilles Ricard par son père Jean, en 2017, au décès de ce dernier. Jean Ricard était le fils de Johnny Ricard et de Georgette Falardeau. Comme cela arrivait parfois à l’époque, Jean a été adopté vers l’âge de trois ans par Napoléon Fiset et Blanche Falardeau. Ses parents biologiques étant toujours vivants, il avait conservé le nom de famille Ricard. Mais Jean a souhaité être enterré aux côtés de ses parents adoptifs, Napoléon et Blanche, ainsi que de Rachel.
Au moment de ma visite au cimetière de Cap-Santé, en août 2018, il n’y avait qu’une plaque au sol avec le nom de Napoléon.

Photo : France Michel.
M. Gilles Ricard trouvait important que les noms de toutes les personnes inhumées dans ce lot figurent de façon évidente sur une pierre tombale. « Ce qui devrait être fait en septembre 2018 » me dit-il. C’est ainsi qu’il me promit de m’envoyer une photo du monument funéraire quand il serait en place. La promesse a été tenue. La pierre tombale est installée. On peut maintenant voir que Blanche et Rachel poursuivent dans l’éternité les liens qui les ont soudées tout au long de leur vécu. Non seulement sont-elles là pour toujours, mais elles sont aussi près de leurs sœurs Athala et Régina. Quelle belle fin d’histoire de la part de M. Ricard.

Photo : Gilles Ricard.
Et c’est ainsi que je fis connaissance avec Rachel Falardeau, modiste de chapeaux à Cap-Santé, et sa sœur Blanche, en plus d’en apprendre sur leur famille élargie. Comme quoi une simple promenade peut se transformer en une enquête passionnante.

Photo : France Michel.

Photo : France Michel.

Photo : Cimetières du Québec.
Sources
Monsieur Gilles Ricard, petit-fils de Georgette Falardeau et petit-neveu de Blanche et Rachel Falardeau.
BMS2000, groupe de généalogie.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ), journaux numérisés Le Soleil, L’Action catholique, section Patrimoine, et Collection des registres de l’état civil.
Ancestry, base de données généalogiques.
La chapellerie, L’Enclume, no 13, août 2018.
Les modistes sorties de l’ombre, L’héritage religieux, no 25, automne 1984, Hélène Gagnon et Linda Lapointe.
Portneuf-Presse, 24 juin 1965, p. 6.
Laurent Falardeau says:
Bravo, texte très intéressant.
France Michel says:
Merci! Je suis contente que cela plaise aux membres et aux visiteurs.
Georges Falardeau says:
Une très belle histoire de ces deux soeurs Falardeau qui vécurent ensemble pendant plusieurs années.
Le hasard fait bien les choses, ce qui a contribué à la découverte de cette maison Falardeau à Cap-Santé. C’est toujours une tristesse de perdre des enfants tant pour les parents que pour les enfants. C’est une très belle recherche, merci de l’avoir présentée. Avec vos informations, je vous reviendrai avec le lien qui existe entre cette famille et la famille de Antoine-Sébastien Falardeau. Si on peut être désolé de la pertes d’enfants de cette famille, il en est autrement de celle de Antoine-Sébastien dont le père a engendré dix enfants d’un premier mariage et neuf autres d’un second mariage.
On peut conclure en disant que la table est mise pour la prochaine rencontre de l’Amicale Falardeau.
Bravo France Michel
Georges Falardeau
France Michel says:
Merci, Georges. J’ai bien aimé échanger avec M. Ricard pour écrire ce texte et la recherche a été assez longue. Pour Cap-Santé, le rassemblement 2019 promet de belles choses…